Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Je ne fais que passer !
6 novembre 2008

Pascal Quignard

Le sexe et l'effroi :

Fuir l'amour est s'approcher des fruits de Vénus sans être rançonné. La volupté est plus grande et plus pure pour ceux qui pensent froidement, qu'aux âmes malheureuses, dont l'ardeur est ballottée dans les flots de l'incertitude à l'instant de la possession. Leurs yeux, leurs mains, leurs corps ne savent pas de quoi d'abord jouir. Ce corps tellement convoité, ils le pressent étroitement jusqu'à le faire crier. Leurs dents impriment leur marque sur les lèvres qu'ils aiment. Parce qu'elle n'est pas pure, leur volupté est cruelle et les incite à blesser le corps, quel qu'il soit, qui a fait se lever en eux les germes de cette rage. Nul n'éteint la flamme avec l'incendie. La nature s'y oppose. C'est le seul cas où plus nous possédons, plus la possession embrase le coeur d'un effrayant désir. Boire, manger, ces désirs-là se comblent et le corps absorbe plus que l'image d'eau ou l'image de pain. Mais de la beauté d'un visage, de l'éclat du teint, le corps ne peut rien absorber. Rien : il mange des simulacres, des espoirs extrêmement légers que le vent rapte. De même un homme que la soif dévore au milieu de son rêve. Au milieu de son feu aucune eau ne lui est communiquée. Il ne recourt qu'à des images de ruisseau. Il s'acharne en vain. Il meurt de soif au milieu du torrent où il boit. De même les amants dans l'amour, ils sont les jouets de simulacres de Vénus. Enfin leur corps pressent l'imminence de la joie. C'est l'instant où Vénus va ensemencer le champ de la femme. Ils fichent avidement leurs corps. Ils joignent leurs salives. Avec leur bouche ils n'aspirent que de l'air sur les lèvres où ils écrasent leurs dents. C'est en vain. De ce corps ils ne peuvent arracher aucune parcelle. Leur corps, ils ne peuvent l'enfoncer tout entier dans un corps. Ils ne peuvent passer tout entier dans l'autre corps. On croirait par moments que c'est là ce qu'ils veulent tant ils resserrent avec cupidité autour d'eux les attaches qui les lient. Quand enfin les nerfs ne peuvent plus contenir le désir qui les tend, quand ce désir fait éruption, il se fait un court répit. Un court moment, la violente ardeur se calme. et puis c'est le retour de la même rage, de la même frénésie. De nouveau ils cherchent ce qu'ils espèrent. De nouveau ils se demandent ce qu'ils désirent. Egarés et aveugles, ils se consument, rongés d'une invisible blessure.



Publicité
Publicité
Commentaires
Je ne fais que passer !
  • Réflexions personnelles, méditations et remarques sur la vie en général, vu d'une manière humoristique et dérisoire. Agrémenté d'extraits d'articles de presse et magazine m'ayant particulièrement touchés.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité